AUTOMUTILATION PENIENNE SUR TERRAIN PSYCHOTIQUE: A PROPOS DE 4 CAS

Massande Mouyendi J1, Ndang Ngou Milama S2, Mougougou11 A, Nguema Asseko B2, Bayonne Manou S2

1 : Service d’urologie, Centre Hospitalier Universitaire de Libreville (Gabon)
2 : Service de Chirurgie et spécialités, Centre Hospitalier Universitaire d’Angondje (Gabon)
Correspondance : Dr NDANG NGOU MILAMA Steevy ; BP : 18027 Libreville
E-mail : nnmsteevy@gmail.com; Tél : (00241) 04923283

 

RESUME

Introduction : l’automutilation génitale est une situation rare en urologie. Elle survient le plus souvent dans un contexte psychiatrique ou à la suite d’un abus d’alcool ou de drogues. L’objectif de ce travail était de présenter les aspects cliniques et thérapeutiques de quatre cas d’automutilations péniennes pris en charge dans notre service.
Observation : nous rapportons quatre cas d’automutilation génitale. Les patients étaient âgés de 28, 53, 19 et 26 ans. Il s’agissait de deux cas d’amputation de verge, un cas de strangulation pénienne et un cas de mise en place de corps étranger dans l’urètre.
Conclusion : l’automutilation pénienne est une urgence urologique. Cependant la prise en charge psychiatrique demeure tout aussi importante afin d’éviter la récidive.
Mots clés :

ABSTRACT

Introduction: Genital self mutilation is a rare situation in urology. She survives most often in a psychiatric setting or as a result of alcohol or drug abuse. The objective of this work was to present the clinical and therapeutic aspects of these self-mutilations. Observation: We report four cases of genital self-mutilation, two of which corresponded to total amputation of the border, a case of penile strangulation and a case of placement of foreign body in the urethra.
Conclusion: Penile self-injury, although rare, is a urological emergency. His performance in charge is multidisciplinary with an important role of the urologist and the psychiatrist.

 

INTRODUCTION

Le pénis est l’organe de la copulation et de la miction de l’homme. Toute atteinte de cet organe peut mettre en jeu les fonctions urinaire, sexuelle, esthétique et psychogène. Bien que rare, plusieurs cas d’automutilation pénienne ont été décrits, notamment en Afrique (1-4). Elle concerne différentes situations cliniques : la strangulation pénienne, les lacérations péniennes, l’amputation de verge et l’introduction de corps étranger dans l’urètre antérieur. Elle s’observe le plus souvent chez des patients qui présentent des troubles mentaux. Il s’agit d’une urgence urologique dont le but principal est de préserver la fonction urinaire. Par ailleurs une prise en charge psychiatrique demeure indispensable.
La préservation de la fonction sexuelle dans les cas d’amputation de verge est difficile dans notre contexte du fait de l’absence ou de la mauvaise conservation du moignon pénien distal.
Nous rapportons quatre observations d’automutilation pénienne chez des patients schizophrènes qui ont eu lieu au cours des années 2015 et 2016. Parmi ces 4 observations, deux concernaient une amputation de verge, une était relative à une strangulation de verge et la dernière rapportait un cas d’auto insertion de corps étranger dans l’urètre.
Le but de ce travail était de décrire les aspects cliniques et de ressortir les difficultés thérapeutiques de ces patients.

 

OBSERVATIONS

Patient 1
Mr B.A. âgé de 28 ans sans antécédents psychiatriques, célibataire et père d’un enfant. Il nous avait été rapporté la notion de conflits conjugaux qui avaient débuté depuis un an, suivi d’une rupture d’avec sa femme. A la suite de cette rupture, le patient présentait des dialogues hallucinatoiresassociés à des troubles du comportement et de sommeil. Deux semaines après la rupture, le patient s’est amputé la verge à l’aide d’une paire de ciseaux en accusant sa femme d’être à l’origine de son geste. L’heure de l’automutilation n’avait pu être précisée. Le patient n’avait été présenté à l’urologue que le lendemain. Le patient était calme.
Il avait un raisonnement morbide et une logorrhée.
L’examen urologique notait une amputation complète du 1/3 distal de la verge (figure 1). Le moignon distal avait été conservé dans un linge souillé. La prise en charge avait consisté en un parage du moignon proximal, une hémostase minutieuse des corps caverneux, une urétroplastie sur sonde urinaire Charrière 18 et une plastie pénienne de recouvrement (figure 2). L’avis psychiatrique réalisé en cours d’hospitalisation avait conclu à une schizophrénie. Le patient avait été mis sous neuroleptiques. La sonde urinaire avait été retirée au 7ème jour post opératoire. Les suites post-opératoires avaient été simples.

Figure 1 : amputation de verge ; patient 1
(service Dr Massandé)
Figure 2 : Amputation de verge après parage et
plastie de recouvrement (service Dr Massandé)

 

Patient 2

Mr O.N. JB, âgé de 53 ans, père de 6 enfants était suivi pour une psychose dépressive délirante depuis 2 ans, sous neuroleptique. Il s’était amputé la verge dans un contexte de dépression délirante avec agitation psychomotrice et propos incohérents. En effet il pensait que sa verge était à l’origine de ses péchés. Le patient avait été vu par l’urologue plus de 12 heures après l’automutilation. Il présentait un état d’agitation psychotique qui avait nécessité une contention et une sédation par benzodiazépine. L’examen urologique retrouvait une verge amputée des 2/3 distaux. Le moignon distal n’avait pas été retrouvé. Une hémostase des corps caverneux suivie d’une urétroplastie et d’une plastie pénienne de recouvrement avaient été réalisées. Le patient avait été mis sous neuroleptiques dès son admission. Les suites opératoires avaient été simples.

 

Patient 3

Mr A.A âgé de 19 ans, orphelin de père et de mère depuis 2 ans et qui errait dans les rues de Libreville, avait été amené aux urgences pour une strangulation pénienne par deux anneaux métalliques. Le patient n’avait pu expliquer les raisons de son geste. L’examen clinique retrouvait un patient calme, désorienté, qui n’avait pas conscience de son acte. L’examen urologique avait retrouvé une verge oedématié. La peau pénienne en aval des anneaux métalliques était noirâtre et cartonnée. Ces anneaux métalliques se situaient au 1/3 proximal de la verge. La verge présentait également une importante ulcération cutanée et des corps caverneux en regard des anneaux métalliques (figure 3). L’évaluation psychiatrique avait identifié une psychose chronique de type schizophrénie chez ce patient. Les anneaux avaient été retirés à l’aide d’une meule électrique.
Un cystocathéter avait été mis en place après avoir constaté l’existence d’une fistule urétro-cutanée. La réparation de la fistule urétro cutanée avait nécessité une reprise chirurgicale 21 jours après l’échec de la première fistulorraphie. Le patient a été perdu de vue puis était réapparu à 4 mois de son automutilation pénienne. Le patient avait bien cicatrisé. Il avait également recouvré des érections normales.

 

Patient 4

Mr M. H. L. âgé de 26 ans, schizophrène connu et mal suivi depuis 4 ans. Il avait consulté pour une rigidité douloureuse de sa verge et une rétention d’urines, évoluant depuis 24 heures. Le patient était calme et incapable d’expliquer son geste. L’examen physique retrouvait un patient désorienté sur le plan temporo-spatiale. La verge était tendue avec un corps spongieux rigide et des corps caverneux souples. Après ouverture du méat urétral, un crayon totalement enfoui dans l’urètre pénien, avait été mis en évidence. Une méatotomie, sous anesthésie locale, avait été réalisée permettant d’extraire le crayon (figure 4). Il avait été revu en urgence par un psychiatre puis remis sous neuroleptiques.

 

DISCUSSION

L’automutilation pénienne est une situation rare. Plusieurs modèles explicatifs de l’automutilation qui s’inscrivent dans une perspective neurobiologique font appel à des mécanismes neurohormonaux d’autoconservation. Les conceptions psychanalytiques de l’automutilation considèrent ce phénomène multiforme comme l’expression de la dramatisation des processus de lutte contre l’anéantissement prenant racine dans la dépression initiale et réactivés dans la situation oedipienne. Processus dominés par les notions de narcissisme et de masochisme primaire, les gestes auto vulnérants s’intègrent dans la dialectique de la castration (1). L’auto mutilation pénienne peut survenir chez un patient psychotique ou non psychotique avec une nette prédominance masculine. Dans la série de Greilscheimer et Groves (2) qui comptait 52 patients, 87% des cas d’automutilation survenaient sur un terrain psychotique dont 28,5% étaient imputables à une schizophrénie. Par contre l’aspect psychotique était moins présent dans l’étude d’Aboseif et al (5). En effet, sur 14 patients recensés dans son étude, 9 (65%) présentaient une psychose. Dans notre série tous les cas d’automutilation étaient survenus sur un terrain psychotique. Un certain nombre de facteurs sont communs chez les patients psychotiques: intense et profonde confusion sexuelle, sensation de culpabilité ou de sous-estime de soi, perte de la notion de l’intégrité physique, refus du pénis, sensation d’être une femme. L’auto mutilation pénienne peut prendre plusieurs formes, de la lacération cutanée à l’amputation partielle ou totale du pénis, en passant par la strangulation pénienne et l’introduction de corps étrangers dans l’urètre.
Concernant les deux cas d’amputations totales de pénis, la réimplantation du moignon distale n’avait pu être réalisée à cause des délais de prise en charge chirurgicale et de la qualité de conservation du moignon distal sectionné. Dans l’observation 1, l’intérêt d’une réimplantation du moignon distal ne s’était pas posé car celui-ci n’avait pas été retrouvé. Par contre concernant l’observation 2, la mauvaise conservation du moignon et le long délai entre l’amputation et la prise en charge chirurgicale (24 heures) n’avaient pas permis de poser l’indication d’une réimplantation de ce moignon distal.
En effet, le moignon distal avait été apporté dans un linge souillé. Prunet et al (6) recommandent de tenter une réimplantation du pénis chaque fois que cela est possible à condition de respecter plusieurs précautions ; la désinfection et conservation soigneuse du moignon distal amputé dans du sérum physiologique stérile froid. De plus l’extrémité proximale doit être désinfectée et faire l’objet d’un pansement compressif, le temps nécessaire de réaliser un bilan préopératoire et requérir un avis psychiatrique. Ces précautions n’avaient nullement été respectées dans l’observation 2, confortant notre décision de ne pas tenter de réimplantation pénienne. Ces deux patients pourraient bénéficier d’une phalloplastie d’allongement (7,8), soit à partir d’un lambeau prélevé à l’avant-bras ou par mobilisation partielle des corps caverneux et spongieux des branches ischio-pubiennes (9). Avec les coûts très élevés de l’assistance médicale à la procréation, la fonction reproductive de ces patients semble compromise.
Le patient 3 s’était présenté avec une strangulation pénienne par 2 anneaux métalliques dont l’heure de début n’avait pu être précisée du fait de la confusion du patient. Cette strangulation peut être responsable d’une ischémie voire d’une nécrose aboutissant à la perte de la partie distale de la verge. Le traitement consiste à retirer l’objet responsable de la strangulation, tout en étant le plus conservateur possible en l’absence de nécrose. L’extraction des anneaux avait pu être réalisée avec une meule électrique. Le patient était classé grade 4 de la classification de Bhat et al qui en compte 5 (10). La réparation de la fistule urétro-cutanée avait nécessité deux interventions chirurgicales compte tenu de l’échec de la première réparation. Trois mois après la désincarcération de la verge, nous avons noté une bonne cicatrisation des lésions cutanées et de la fistule urétro-cutanée. Le patient avait également recouvré des érections normales.
La prise en charge urologique du patient 4 n’avait posé aucune difficulté thérapeutique, avec un bon pronostic fonctionnel pénien.
Ces observations illustrent l’importance du suivi psychiatrique des patients atteints de psychose chronique. Tous nos patients étaient schizophrènes, mais pour deux d’entre eux le diagnostic avait été posé avant qu’ils aient effectué leur automutilation. Le suivi optimal de ces patients connus schizophrène, aurait peut-être pu empêcher la survenue de ces automutilations péniennes. Ce suivi psychiatrique est important car des cas de récidive d’automutilation génitale ont été décrits (2,11). L’absence d’hôpitaux psychiatriques et le faible nombre de psychiatres sont des facteurs limitant le bon suivi des patients dans notre contexte. Ainsi les patients sont livrés à leurs familles qui par manque d’expérience, de formation ou par lassitude en viennent à les abandonner à eux-mêmes. L’abandon de ces patients peut également résulter du fait que la croyance populaire rattache souvent les maladies psychiatriques à des causes mystiques ; mauvais sort, punition divine, envoutement.
Les automutilations génitales sont rares mais graves par les conséquences fonctionnelles sexuelles, urologiques et reproductrices qu’elles peuvent induire. La prise en charge doit être faite en urgence avec un rôle important de l’urologue et du psychiatre.

 

Contribution des auteurs

Tous les auteurs ont contribué à l’élaboration de ce travail. Tous ont lu et approuvé la version finale de de cet article.

 

REFERENCES

1- Moufid K, Joual A, Debbagh A, et al. L’automutilation génitale : à propos de 3 cas. Progrès en Urologie 2004;14:540-3.
2- Greilsheimer H, Groves JE. Male genital self mutilation. Arch Gen Psychiatr 1979;36:441.
3- Rimtebaye K, Danki SF, Agah A et al. Amputation totale de la verge : à propos de 3 observations. African Journal of Urology 2015;21:76-9.
4- Mahamat AM, Sidi S, Ngaringuem O. l’automutilation par un patient schizophrène: à propos d’un cas. Uro Andro 2016;5(1):230-2.
5- Aboseif S, Gumez R, MC Aminch JW. Genital self mutilation. J Urol 1993;150:1143-6.
6- Prunet D, Bouchot O. Traumatisme du pénis. Progrès en Urologie 1996;6:987-93.
7- Bauquis O, Pralong F, Stiefel F. La chirurgie de réassignation sexuelle dans le cadre des troubles de l’identité du genre. Forum Med Suisse 2011;11(4):58-64.
8- Bondil P. Phalloplastie d’agrandissement: attention, encore et toujours. Mise au point. EMC 2004;1:19-23.
9- Benchekroun A, Jira H, Kasmaoui EH et al. Reconstruction pénienne après amputation par électrocution. Progrès en Urologie 2002;12:129-31.
10- Bhat AL, Kumar A, Mathur SC, et al. Penile strangulation. Br J Urol 1991;68: 618-21.
11- Kabore FW, Fall PA, Diao B. Auto-amp récidivante du pénis sur terrain schizophr propos d’un cas. Andrologie 2008;18(3):224-