Ndirahisha E1, Nyandwi J2, Manirakiza S3, Nyandwi R4, Ndabashinze P5, Baransaka E1
1.Centre hospitalo-universitaire de Kamenge, département de Cardiologie
2.Centre hospitalo-universitaire de Kamenge, département de Néphrologie
3.Centre hospitalo-universitaire de Kamenge, département d’imagerie
4.Centre hospitalo-universitaire de Kamenge, département de Pharmacie
5.Centre hospitalo-universitaire de Kamenge, département de Pédiatrie
Correspondance: Eugène Ndirahisha ; kabandaeugene@yahoo.fr; tél : (257)79427718
Résumé
Objectif : Décrire les aspects épidémiologiques, cliniques, para cliniques et évolutifs des thromboses veineuses profondes (TVP) des membres inférieurs (MI).
Patients et méthodes : Il s’agit d’une étude rétrospective et descriptive, réalisée dans le service de médecine interne de l’hôpital militaire de Kamenge de janvier 2012 à décembre 2015. Tous les patients hospitalisés pour TVP du MI confirmé par l’échographie Doppler ont été inclus.
Résultats : La prévalence de la TVP des MI a été estimée à 1,73% des patients hospitalisés. L’âge moyen des patients était de 43,25 ans ± 7,00 ans. L’incidence annuelle de la TVP augmentait chaque année passant de 1,17% en 2012 à 2,77% en 2015. Les deux sexes étaient touchés au même titre. Les fonctionnaires étaient plus atteints avec 31,63% des cas. Les facteurs de risque étaient dominés par le VIH/SIDA avec 43,24%. Les signes fonctionnels les plus fréquents étaient la douleur et l’oedème avec 96,93% des cas chacun. Le membre inférieur gauche était le plus touché avec 50 cas (51,02%). Le traitement était une héparinothérapie à bas poids moléculaire avec relais d’un anti vitamine K. La durée moyenne d’hospitalisation était de 14,77 jours ± 6 jours. L’issue favorable de la maladie était notée chez 94,89%. Au cours de l’évolution, il avait eu deux décès (2,04%) et deux types de complication (deux embolies pulmonaires (2,04%) et une hémorragie gingivale).
Conclusion : La TVP des MI est de plus en plus fréquente dans notre pays. Elle est associée à un certain nombre de facteurs de risque qui méritent une attention particulière. Elle peut entraîner des complications graves mortelles.
Mots clés : Thrombose veineuse, embolie pulmonaire, membre inférieur
Abstract
Aim: To describe the epidemiological, the clinical, and para clinical aspects, and outcomes of the deep venous thrombosis (DVT).
Patients and methods: This retrospective and descriptive study was performed in the service of internal medicine of the military hospital of Kamenge. It was involved all patients hospitalized for DVP of lower limbs, and whom the diagnosis was confirmed by echography with Doppler from January 2012 to December 2015.
Results: The prevalence of DVT in the lower limbs was estimated for about 1.73% of the patients. The average age was 43.25 ± 7 years. Women and men were represented at the same level. The annual incidence of DVT was increasing year by year, passing from 1.1% in 2012 to 2.77% in 2015. The most important part of patients was represented by state employees with 31.63%. The risk factors were dominated by HIV/aids with 43.24% of cases. The most frequent functional signs were pain and edema of lower limbs with 96.93% each. The left lower limb was more affected with 50 (51.02) patients. Treatment was based on low weight heparin therapy with anti vitamin K’s relay. The duration in hospitalization was about 14.77± 6 days. The outcome was marked by satisfaction in 94.89% of cases. Two deaths and two types of complication were observed (2 pulmonary embolisms and one gingival hemorrhage).
Conclusion: The DVT of lower limbs is more and more frequent in our country. It is associated with some risk factors which must be taken into account. It may lead to serious complications such as the death and the pulmonary embolism.
Keys words: Venous thrombosis, lower limb, pulmonary embolism,
Introduction
La thrombose veineuse profonde (TVP) atteint une personne pour 1.000 habitants dans la population générale selon l’étude de Di Nisio M et al. [1]. Malgré un traitement adapté, 1 à 20% des patients meurent d’une embolie pulmonaire (EP) et beaucoup d’autres vont subir des complications à long terme tels le syndrome post thrombotique (20 à 50%) et l’hypertension artérielle pulmonaire (0,1 à 4%) [1 – 3]. En Afrique noire, la thrombose veineuse était réputée rare. Elle est de plus en plus fréquente en Afrique et constitue de nos jours un véritable problème de santé publique [4]. En effet, beaucoup de cas de TVP sont observés grâce à l’augmentation continue du nombre de cardiologues et des radiologues capables d’évoquer plus ou moins aisément son diagnostic. En outre, l’occidentalisation du mode de vie et l’avènement du VIH/SIDA contribuent sensiblement à l’augmentation de l’incidence de TVP [5]. Nous rapportons dans notre étude les aspects épidémiologiques, cliniques, et para cliniques de la thrombose veineuse profonde à l’hôpital militaire de Kamenge (HMK), à Bujumbura au Burundi.
Patients et méthodes
Il s’agit d’une étude rétrospective et descriptive. Les patients ont été recrutés à partir des dossiers des hospitalisés dans le service interne de l’HMK, hôpital de niveau tertiaire. Ont été inclus systématiquement tous les patients adultes, porteurs d’une TVP confirmée à l’échographie Doppler. Nous n’avons pas inclus les patients chez qui le diagnostic était clinique sans confirmation para clinique. Les données cliniques et para cliniques ont été systématiquement recueillies à partir du dossier médical du patient et du registre d’hospitalisation. Ces données ont été transcrites sur un questionnaire préétabli à cet effet de janvier 2012 à décembre 2015 soit une période de quatre ans. Les examens échographiques ont été effectués grâce à un appareil avec une option Doppler (couleur, Pulsé et énergie) muni de sonde de haute fréquence (7,5MHZ). Le signe direct de diagnostic de la TVP était la visualisation en mode bidimensionnel d’un thrombus plus ou moins échogène dans la lumière de la veine. Les signes indirects étaient l’incompressibilité de la veine, l’absence de flux au Doppler couleur, les modifications de la modulation du flux au Doppler pulsé (lors de la respiration, à la manoeuvre de Valsalva et manoeuvre de chasse), l’augmentation du flux des veines collatérales, et la parésie de la valvule prise dans le thrombus. Nous avons étudié les paramètres suivants : âge, sexe, les données cliniques et évolutives, et les facteurs de risque de la thrombose veineuse. L’analyse des données s’est fait grâce au logiciel Epi Info 3.5.4 version 2012.
Résultats
Sur un total de 5.635 hospitalisés dans le service de médecine interne de l’HMK, 98 cas de thrombose veineuse (TV) ont été enregistrés soit une fréquence de 1,73%. L’incidence annuelle augmentait d’année en année (tableau I). La tranche d’âge la plus touchée était celle de 30 à 50 ans avec 69 patients (70,40%). L’âge moyen était de 43,25 ± 7 ans avec des extrêmes de 16 et 92 ans. Les deux sexes étaient représentés de la même manière avec 50% chacun. Avant 50 ans, les femmes étaient plus touchées avec 37 femmes contre 33 hommes. Après cet âge, les hommes étaient les plus touchés avec 16 hommes contre 12 femmes.
Tableau I : Répartition des patients selon les années
Les facteurs de risque identifiés sont mentionnés dans le Tableau II. Les motifs de consultation étaient dominés par la douleur du membre inférieur et l’oedème du même côté chez 95 patients (96,93%). La dyspnée et la toux hémoptoïque étaient observées chez cinq patients (5,10%) chacune. La douleur thoracique a été évoquée chez 4 patients (4,08%). Les signes d’examen physique étaient marqués par l’oedème du membre inférieur observé chez 95 patients (96,63%), par la diminution ou l’absence du ballottement du mollet noté chez 73 patients (74,48%), par le signe de Homans positif chez 66 patients (67,34%), la chaleur locale retrouvée chez 64 patients (65,30%) et les varices des membres inférieurs chez six (6,12%). Le membre inférieur gauche était le plus touché avec 50 cas (51,02%) contre 39 cas (39,80%) pour le membre inférieur droit. L’atteinte était bilatérale chez 9 patients (9,18%).
Tableau II : Répartition des patients selon les facteurs de risque de TVP
Autre maladie chronique : diabète sucré, goute, hépatite B et/ou C.
L’échographie Doppler veineux avait permis d’identifier le thrombus chez tous les patients. La TVP était étendue chez 28 patients (28,57%), proximale chez 25 patients (25,51%), distale chez 45 soit 45,91%. Une localisation jugulaire associée a été observée une fois. Tous les patients ont bénéficié d’un traitement par les héparines à bas poids moléculaire. Le relais par l’anti vitamine K était l’acénocoumarol (SintromR) chez tous les patients. La mobilisation précoce a été réalisée chez dix patients (10,20%) et la compression élastique chez deux patients (2,04%). Le séjour moyen à l’hôpital était de 14,77 jours ± 6 jours avec des extrêmes de 2 et 58 jours. L’évolution favorable (lyse total du thrombus) a été observée chez 44 patients (44,89%) et la stabilisation chez 49 patients (50%). La complication par une embolie pulmonaire a été enregistrée deux fois (2,04%) et la complication par hémorragie gingivale une fois. Il y a eu deux cas de décès (2,04%). Il s’agissait d’un homme avec une cirrhose hépatique décompensée dans un contexte de VIH et d’une femme ayant subi une hystérectomie. La surveillance du traitement par un contrôle régulier du TP et de l’INR a été faite chez 69 patients (70,40%). L’échographie de contrôle a été réalisée chez 24 patients après la sortie de l’hôpital.
Discussion
Avec une fréquence hospitalière d’environ 1,73% et une incidence annuelle de 19,6 cas en moyenne par an, les TVP sont fréquentes au Burundi. Nous manquons les données sur l’incidence de TVP dans tout le pays. Au Cameroun comme au Sénégal, les patients sont autant atteints avec des fréquences hospitalières respectives de 1,6% [4] et de 2,7% [6]. En France, selon les estimations, la fréquence des TVP des membres inférieurs est de l’ordre de 70000 cas par an et 2% de la population française auront un accident thromboembolique veineux au cours de leur existence [7]. Aux Etats Unis, deux travaux [8,9] avaient rapporté que l’incidence de TVP était plus élevée chez les noirs par rapport au reste de la population. Selon ces auteurs, l’incidence de la TVP variait entre 45 et 117 pour 100.000 habitants. Il s’agit d’une contradiction aux vieilles idées qui stipulent que le noir a une hypoagrégabilité plaquettaire et une fibrinolyse rapide d’où un faible taux de TVP. Dans notre travail, l’incidence annuelle des TVP augmentait d’année en année passant de 1,17% en 2012 à 2,77% en 2015. L’explication de ce phénomène serait l’apparition de nouveaux facteurs de risque en rapport avec le changement de mode de vie et une modification du profil de coagulation viro-induite chez l’homme noir [10]. L’âge moyen était de 43,25 ± 7 ans avec des extrêmes de 16 et 92 ans. Les âges moyens rapportés dans les travaux africains étaient comparables à nos résultats: 46 ± 17,7 ans pour Ikama SM et al. au Congo (Brazzaville) [11], et 50,61 ± 25 ans pour Owono et al. au Cameroun [4]. Les facteurs de risque étaient dominés par le VIH/SIDA (avec 16 cas dans notre étude, soit 16,32%) qui constitue un des principaux facteurs de risque des TVP [10,11]. Le tableau clinique de nos patients était dominé par une douleur du membre inférieur et l’oedème du même coté chez 95 patients (96,93%). Le même constat a été fait par Ondze-kafata et al. au Congo Brazzaville [5]. Comme tous les patients inclus étaient symptomatiques, la confirmation du diagnostic a été facilité par l’échographie Doppler veineux. Selon la littérature, la sensibilité et la spécificité de l’échographie Doppler est meilleure lorsque la TVP est symptomatique, et proximale [5]. Ainsi, un thrombus intraluminal a été identifié dans 100% des cas, et il était étendu chez 28 patients (28,57%), proximal chez 25 patients (25,51%) et distal chez 45 soit 45,91%. Nous n’avons pas fait des recours systématiques aux scores cliniques (notamment au score de Wells) et le dosage des D-Dimères (non pratiqué dans notre hôpital) pour identifier les TVP car le diagnostic était déjà posé à l’échographie Doppler veineux. Sous traitement, nous avons observé 31 cas de complications : extension de la thrombophlébite aux veines iliaques et cave chez 28,57% des patients, une embolie pulmonaire chez 2,04% et une hémorragie gingivale. Cette fréquence est sousestimée vue les difficultés diagnostiques et particulièrement chez le sujet cardiaque. En effet, au Bénin en 2009, Houénassi et al. [12] avaient trouvé une fréquence des EP compliquant la TVP à 57%. Ces complications font la gravité potentielle de la TVP avec une mort subite en cas de migration massive. C’est ce qui explique des recommandations sur la prise en charge thérapeutique précoce, prompte et efficace, et surtout une prévention adéquate.
Conclusion
La thrombose veineuse des membres inférieure est de plus en plus fréquente dans notre pays. C’est une pathologie qui peut être intriquée de complications de diagnostic difficile, souvent graves et mortelles. Elle est associée à un certain nombre de facteurs de risque qui méritent une attention particulière.
Références
2. Pengo V, Lensing AW, Prins MH, et al. Incidence of chronic thromboembolic pulmonary hypertension after pulmonary embolism. N Engl J Med 2004;350:2257-64.
3. Kahn SR, Ginsberg JS. Relationship between deep venous thrombosis and the postthrombotic syndrome. Arch Intern Med 2004; 164:17-26.
4. Owono Etoundi P, Esiéne A, Bengono Bengono R, et al. La Maladie Thromboembolique Veineuse. Aspects Epidémiologiques et Facteurs de Risque dans Hôpital Camerounais. Health Sci Dis 2015;16 (4):1-4.
5. Ondze-kafata L, Kouala Landa C, Traore-Kissima A, et al. La thrombose veineuse des membres inférieurs à Brazzaville : à propos de 44 cas. Card Trop 2012;135:16-7.
6. Dioum M, Mbaye A, Ngaide AA, et al. Les thromboses veineuses des membres: Aspects épidémiologiques, diagnostiques, thérapeutiques et évolutifs: Etude rétrospective sur une période de 09 ans à propos de 148 cas colligés au service de cardiologie de l’hôpital général de Grand Yoff de Dakar. Rev CAMES SANTE 2017;5(1):79-82.
8. Heit AJ. Epidemiology of venous thromboembolism. Nat Rev Cardiol 2015;12: 464–74.
9. Heit AJ, Spencer AF, White HR. The epidemiology of venous thromboembolism. J Thromb Thrombolysis 2016;41:3–14.
10. Pessinaba S, Atti Molba DY, Baragou S, et al. L’embolie pulmonaire au centre hospitalier universitaire Campus de Lomé (Togo): étude rétrospective à propos de 51 cas. Pan African Medical Journal 2017;27:129.
11. Ikama SM, Nkoua MF, Gombet TR, et al. Evaluation du risque de maladie thromboembolique veineuse et de sa prévention chez des patients hospitalisés à Brazzaville. J Mal Vasc 2016;578:1-6.
12. Houénassi MD, Tchabi Y, Akinde D, et al. Prevention of venous thromboembolism among inpatients at Cotonou hospital, Benin. Arch Cardiovasc Dis 2009;102:5-9.