Lamini N’Soundhat NE1, Nganga Ngabou CGF2, Mimiesse JF3, Nkouala-Kidede D1, Akoli Ekoya O1, Omboumaou Bakale FE1, Ntsiba H1
1- Service de Rhumatologie, Centre Hospitalier Universitaire de Brazzaville (Université Marien NGOUABI), Brazzaville (Congo)
2- Service d’Ophtalmologie, Centre Hospitalier Universitaire de Brazzaville, (Université Marien NGOUABI), Brazzaville (Congo)
3- Service de Gastro-entérologie et Médecine interne, Centre Hospitalier Universitaire de Brazzaville (Université Marien NGOUABI), Brazzaville (Congo)
Auteur/ correspondant :
Norbert Edgard LAMINI N’SOUNDHAT
Médecin rhumatologue, service de Rhumatologie (Centre Hospitalier Universitaire de Brazzaville, Congo) ; Assistant Hospitalo-universitaire (Université Marien NGOUABI de Brazzaville, Congo).
Email : nlamini@yahoo.fr
RESUME
But : Nous rapportons un cas de maladie de Behçet avec atteinte systémique survenue chez un patient mélanoderme congolais.
Observation : homme de 44 ans, sans antécédent particulier, référé en juillet 2012 par le service d’Hépato-Gastroentérologie du Centre Hospitalier Universitaire de Brazzaville après y avoir séjourné durant 2 semaines pour douleurs abdominales, fièvre et méléna compliqué d’une anémie sévère. Il a été admis dans notre service pour des douleurs rhizoméliques pelviennes, de rythme inflammatoire, fugaces (poussée de 4-5 jours), migratrices, impotentes et persistant malgré une corticothérapie à 20mg/j, accompagnant la symptomatologie initiale. A l’admission, le patient était fébrile à 38°5c, douloureux aux deux hanches, surtout à droite. Il existait associée à une aphtose buccale. Il existait un syndrome inflammatoire biologique (CRP à 48,83 mg/l, anémie à 10,3 g/dl normochrome normocytaire). Les bilans infectieux (hémocultures, ECBU, HIV, AgHbS, Ac Anti HVB/C et TPHA/VDRL) et auto immun (AAN, DNA natif, complément sérique, FR, AcAntiCCP) étaient normaux. Le typage HLA B27 n’a pu être réalisé. Les radiographies articulaires étaient sans particularité. La mise sous colchicine a permis d’obtenir une régression initiale spectaculaire, puis une évolution émaillée de poussées articulaires et d’aphtes par inobservance thérapeutique. En septembre 2012, installation d’une insuffisance cardiaques globale en rapport avec une(cardiomyopathie dilatée hypokinétique, puis 2 ans après, une cécité complète de l’oeil gauche compliquant une uvéite bilatérale. la mise sous cyclophosphamide a permis de stabiliser le patient.
Conclusion : La maladie de Behçet est une vascularite systémique rare chez le mélanoderme. L’association d’une polyarthrite chronique et d’une aphtose doit amener à y penser.
Mots clés : Behçet, Arthrite, HLA B27, atteinte systémique
ABSTRACT
Objective: We report a case of Behçet’s disease with systemic involvement in a Congolese Melanoderm patient.
Observation: A 44 years old male without any specific antecedent, referred in July 2012 by the Hepatogastroenterology Department of Brazzaville University Teaching Hospital after staying 2 weeks for abdominal pain, fever and melena complicated by severe anemia. He was admitted to our department for pelvic rhizomelic inflammatory pains, fleeting (4-5 days), migratory, impotent and persistent despite corticosteroids at 20mg /d, associated to the initial symptomatology. At his admission, the patient was febrile at 38 ° 5c, feeling painful at both hips, especially on the right side, with difficult mobilization, associated with buccal aphthosis. There was an inflammatory biological syndrome (CRP at 48.83 mg / l, Normocytic and normochromic anemia at 10.3 g / dl). Infectious tests (blood cultures, ECBU, HIV, Ag HbS, Ac Anti HVB / C and TPHA / VDRL) and autoimmune tests (AAN, native DNA, serum complement, FR, Ac Anti CCP) were normal. HLA B27 test could not be performed. The articulation’s radiographs were not particular. The Colchicine treatment allowed spectacular and complete regression of the cutane and articular symptoms. Then we notice a comeback of acute arthritis and aphthae due to therapeutical non-compliance. In September 2012, appears a global heart insufficiency related to hypokinetic dilated cardiomyopathy, then 2 years later, complete blindness of the left eye complicating bilateral uveitis. Infusion of cyclophosphamide stabilized the patient.
Conclusion: Behçet’s disease is a rare systemic vasculitis in melanoderma. The combination of chronic polyarthritis and aphtosis should lead to thinking.
Key words: Behçet, Arthritis, HLA B27, systemic impairment
INTRODUCTION
La maladie de Behçet (MB) est une affection ubiquitaire dont la prévalence varie selon les pays. Celle-ci est estimée dans le monde entre 0.1/1000 et1/100 000 par habitant [1]. Elle est endémique dans les pays dits de la route de la soie c’est-à-dire ceux du bassin méditerranéen, la Turquie, l’Iran, la Chine et le Japon en particulier. Il s’agit d’une vascularite systémique touchant préférentiellement les veines de tous calibres et plus rarement les artères. Son étiologie reste inconnue. Le mécanisme physiopathologique fait intervenir à la fois, des facteurs environnementaux infectieux (Herpès Virus, Streptococcus sanguis, Mycoplasma fermentans, protéines du choc thermique) [2], des facteurs génétiques, suggérés par la forte prévalence dans certaines régions du monde comme sus cité et par l’implication des antigènes du système HLA de classe I notamment HLA B51 retrouvé dans 50 à 70% des cas. Des facteurs immuno-inflammatoires interviendraient également tels que l’hyperactivité du système mononuclée et macrophagique, la sécrétion de nombreuses cytokines pro inflammatoires (IL-1, IL-6, IL-18, TNF α), la présence de lymphocytes Th1 dans le sang périphérique lors des poussées. L’immunité humorale jouerait un rôle modeste [3]. Son diagnostic repose sur une triade symptomatique associant des aphtes oraux et génitaux et l’uvéite, sans qu’il existe de tests diagnostiques biologiques spécifiques. En Afrique, elle prédomine dans les pays du Maghreb, où elle est fréquemment rapportée. Elle semble plus rare en Afrique sub-saharienne [4], notamment au Congo où aucun cas n’a été rapporté. Nous rapportons un cas de maladie Behçet avec atteinte systémique sévère.
OBSERVATION
Il s’agit d’un homme de 44 ans, sans antécédent particulier, référé en juillet 2012 par le service d’Hépato-Gastroentérologie du Centre Hospitalier Universitaire de Brazzaville après y avoir séjourné durant 2 semaines pour douleurs abdominales, fièvre et méléna compliqué d’une anémie sévère. Il a été admis dans notre service, pour des douleurs rhizoméliques pelviennes, de rythme inflammatoire, fugaces (poussée de 4-5 jours), migratrices, impotentes et persistantes malgré une corticothérapie à 20mg/j, accompagnant la symptomatologie initiale. A l’admission, le patient était fébrile à 38,5°c, douloureux aux deux hanches, surtout à droite, avec salut coxal impossible et mobilisation difficile. Il existait associé une aphtose buccale à type une ulcération ronde d’environ 4 mm à fond blanchâtre, douloureuse, à bords nets, entouré d’une inflammation rouge vif. [image1]. Il existait un syndrome inflammatoire biologique (CRP à 48,83mg/l, anémie à 10,3g/dl normochrome normocytaire). Les bilans infectieux (hémocultures, ECBU, HIV, AgHbS, Ac anti HVB/C et TPHA/VDRL) et auto immun (Anticorps antinucléaires, Anticorps anti DNA natif, le complément sérique, Facteurs Rhumatoïdes, Anticorps anti CCP, Anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles) étaient normaux. Le typage HLA B27 n’a pu être réalisé.
Les radiographies des articulations périphériques et thoraciques étaient sans particularité ainsi que l’endoscopie digestive haute et basse. La mise sous colchicine a permis d’obtenir une régression initiale, spectaculaire et complète des symptômes cutanéo- articulaires et systémiques, puis une évolution émaillée de poussées articulaires et d’aphtes oraux par inobservance thérapeutique. En septembre 2012, il s’installe une insuffisance cardiaque globale en rapport avec une cardiomyopathie dilatée hypokinétique, stabilisée par diurétique de l’hanse (furosémide) et inhibiteur de l’enzyme de conversion (captopril). Deux ans après, s’installe une cécité complète de l’oeil gauche compliquant une uvéite bilatérale [image 2]. Le patient est alors perdu de vue, puis réadmis décembre 2016, devant l’évolution récurrente des symptômes cutanéo articulaires et l’altération de l’état général. Des bolus de cyclophosphamide sont prescrits (1000 mg, une fois par mois, pendant six mois) ce qui a permis de stabiliser le patient.
DISCUSSION
Décrite pour la première fois en 1937, par le dermatologue turc Hulusi Behçet, la maladie de Behçet est une vascularite systémique dont les manifestations cliniques débutent en règle générale dans la troisième et quatrième décennie de la vie, rarement avant la puberté et après la cinquantaine. Ces manifestations cliniques semblent plus sévères chez l’homme que chez la femme [1]. En Afrique subsaharienne, elle demeure de diagnostic rare. Chez le mélanoderme, tout comme pour les autres ethnies, l’atteinte principale est une aphtose bipolaire, buccale et génitale, récurrente, concomitante des poussées aigues inflammatoires [4]. L’aphtose buccale est plus fréquente et caractéristique de l’affection. Elle peut apparaitre plusieurs années avant les autres manifestations notamment avant l’aphtose génitale comme c’est le cas pour notre patient. L’aphtose buccale se présente en règle générale sous forme d’ulcération douloureuse, isolée ou multiple, ronde, à bords nets érythémateux, à fond tapissé par une pseudo-membrane blanc grisâtre, siégeant le plus souvent au niveau des muqueuses gingivales, de la face interne des joues et au niveau de la langue. Elle guérit en 2 à 4 semaines sans laisser de cicatrice. Les manifestations articulaires sont moins fréquentes (40-60%) [1,4]. Elles peuvent être inaugurales et précédées, elles aussi, les autres manifestations, ce qui peut retarder le diagnostic et donc favoriser l’apparition d’atteintes graves. Chez notre patient, l’atteinte intéressait les hanches, laissant suspecter initialement une spondylarthropathie, d’autant plus qu’il existait des manifestations digestives associées et inaugurales. Bien qu’il s’agisse d’une grosse articulation périphérique, l’atteinte isolée des hanches est peu fréquente. Il s’agit le plus souvent d’une mono ou oligoarthrite asymétrique, récurrente, touchant des grosses articulations telles que les genoux, les chevilles, les coudes, les poignets. L’atteinte articulaire est en règle générale non érosive. La gravité de la maladie de Behçet tient à la possibilité d’atteintes systémiques graves notamment oculaires, cardiaques, digestives et neurologiques. L’atteinte oculaire est la manifestation systémique la plus fréquente [5], compliquant la MB dans 30 à70% des cas. Elle a compliqué l’évolution de l’affection chez notre patient, s’installant deux ans après le diagnostic du fait de l’inobservance thérapeutique. L’uvéite bilatérale récurrente, non granulomateuse en est la présentation la plus rencontrée et dans 25 % elle évolue vers une cécité définitive, ce qui a été le cas chez notre patient. A côté de l’uvéite, d’autres manifestations oculaires peuvent se rencontrer telles que iridocyclite, kératite, épisclérite, vascularite rétinienne, névrite optique [1,6]. L’atteinte cardiaque, moins fréquente, est rencontrée chez 1 à 6% des patients selon les séries. Rarement inaugurale, elle s’installe dans les 3 à 16 ans après le début de la maladie. L’atteinte a été précoce chez notre patient, se manifestant par une myocardiopathie découverte dans un contexte d’insuffisance cardiaque globale inaugurale. De mauvais pronostic, elle peut aussi intéresser le péricarde, l’endocarde et les vaisseaux coronariens. Elle est la complication directe de l’inflammation vasculaire systémique [7].
En l’absence de phénotypage HLA, notamment B51, le diagnostic, dans notre contexte, a reposé sur la négativité du bilan auto-immun et infectieux notamment le VIH. La réponse thérapeutique à la colchicine a été un élément d’orientation diagnostique pertinent. La colchicine a eu un effet bénéfique spectaculaire sur l’aphtose et l’arthrite chez notre patient. Cette efficacité est bien connue de nos jours, mais reste limitée aux formes cutanéoarticulaires [3]. Les atteintes systémiques graves échappent à la colchicine et justifient le plus souvent de la mise sous immunosuppresseur et à l’heure actuelle de biothérapie par anti-TNFα [3].
CONCLUSION
La maladie de Behçet est une vascularite systémique au pronostic sévère, rare chez le mélanoderme. Notre cas est le premier décrit au Congo. Le diagnostic a été clinique, devant l’association d’une aphtose buccale, d’une arthrite récurrente, concomitant de la poussée d’aphtes. L’évolution s’est faite vers l’installation d’atteintes viscérales systémiques graves notamment par une cécité l’oeil gauche compliquant une uvéite bilatérale, et une cardiomyopathie dilatée. Le traitement immunosuppresseur permis de stabiliser le patient.
Conflits d’intérêt : aucun
Financement : aucun financement public et privé
REFERENCES
review. Autoimmune Highlights 2016;7(1):4.
2- Koné-Paut I, Tran T.A. Maladie de Behçet. mt Pédiatrie 2011;14(5-6):371-6.
3- Hirohata S, Kikuchi H. Behçet’s disease. Arthritis Res Therapy 2003;5:139-46.
4- Ndiaye M, Sow AS, Valiollah A. Behçet’s disease in black skin. A retrospective study of 50 cases in Dakar. J Dermatol Case Rep 2015;9(4):98–102.
5- Calamia KT, Wilson FC, Icen M, et al. Epidemiology and Clinical Characteristics of Behçet’s Disease in the US: A Population Based Study. Arthritis Rheum 2009;61(5):600–4.
7- Demirelli S, Degirmenci H, Inci S, et al. Cardiac manifestations in Behçet’s disease. Intractable Rare Dis Res 2015;4(2):70-5.